DE LA SCIENCE DU VERRE À L'ART DU VERRE
 

Dans une série de conférences intitulées « verre, lumière et forme », je tente à l’aide de notre logique scientifique de monter et d’expliquer les exceptionnels rapports que le verre entretient avec la lumière c'est-à-dire l’optique, et la plasticité, la mise en forme, le « shaping » comme le qualifie nos collègues anglo-saxons.Le verre, cet étrange état de la matière, forme avec la lumière un couple fascinant, aux mille facettes, allant de la transparence extrême, jusqu’à l’opacité, en passant par les jeux fugaces, vivants et quasi-infinis des couleurs. Les photons qui s’y propagent, au gré de leurs propres caprices et des obstacles qu’ils rencontrent sont l’objet de ces duels et combats incessants entre propagation, déviation et absorption. La science du verre, par essence et par fonction, réussit quelquefois à rationaliser cette relation et est capable de produire et reproduire des objets fonctionnels mais froids.

Imaginons un instant un monde sans pare-brise, brisant l’isolement de l’un de nos habitacles journaliers, un monde sans fibres optiques ne nous permettant plus de communiquer sur de très longues distances. Chantal Royant, l’artiste, le sculpteur, la manipulatrice du verre, ne méconnaît pas les contraintes associées à ce matériau capricieux, hors d’équilibre. Elle connaît tout cela, de façon empirique, globale, et sait qu’elle doit journellement y faire face. Tout simplement ou tout génialement, comme le disent les ados, elle y ajoutent la beauté, la créativité, l’émotion, le mystère qui transforme cette matière amorphe en source de vie et de sensations.

Dans sa démarche d’artiste, sans en être totalement consciente, Chantal doit maîtriser ce matériau complexe prêt à tout instant à cristalliser, à se fracturer, à réagir aux contraintes qu’elle lui impose ! En ce sens elle nous ressemble, mais là s’arrête la comparaison et là commence aussi le fossé qui sépare le monde de l’art et celui de la science. Regarder une œuvre de CR c’est ne plus penser au verre, pour ne voir que jeux de couleurs, de forme, d’harmonie, de sensations perçues dans les trois dimensions de l’espace. Elle nourrit le paradoxe de transformer une matière figée, quasi-momifiée, en chose vivante dont la perception change avec l’angle de vision, l’éclairage voir notre humeur

Elle réussit ce tour de force de laisser dans chacune de ses créations sa propre empreinte, son message émotionnel. On prétend que passant devant la Joconde, celle-ci ne nous quitte pas des yeux. Circuler autour d’une création de C.R. c’est au contraire recevoir milles sensations qui n’ont besoin ni de la médiatisation de l’écrit ni de la parole. On comprend mieux pourquoi, danois, japonais, américains et autres, qui ont pu admirer ses œuvres, ont été saisis par la même émotion. Un de nos philosophes affirmait que « science sans conscience n’est que ruines de l’âme ».

On pourrait ajouter que science sans beauté n’est que ruines du cœur. Gageons que la science du verre, par son apport aux créateurs, permette de relever le défit et de satisfaire notre éternel besoin, conscient ou inconscient, d’esthétisme.

Jacques LUCAS, Professeur Emérite, Laboratoire Verres et Céramiques, Université de Rennes

Membre de L’Institut Académie des Sciences